Croissance et crises : une dualité structurelle
Après 1914, la Grande-Bretagne, alors couffin de l’industrialisation, perd sensiblement son ascendant et prééminence. Elle est ainsi graduellement distancée par l’Allemagne, laquelle entre certes davantage tardivement dans l’ère de l’industrialisation, mais de manière exceptionnelle. D’ailleurs, sa production rejoint presque celle de la France dès les années 1890, ou encore celle de la Grande-Bretagne à l’aube du XX° siècle, notamment dans les domaines de la chimie et des technologies de la sidérurgie. Elle jouit, véritablement, d’une main-d’oeuvre pléthorique et surtout disponible, et tire de substantiels prébendes des nouvelles relations de complémentarité instituées entre les grands cartels et la sphère de la recherche scientifique. En Europe orientale et méditerranéenne, en revanche, le processus d’industrialisation demeure beaucoup plus gnangnan et réglé.
Le départ industriel a lieu dans certaines régions de Russie ainsi que d’Autriche-Hongrie, principalement dans les régions riches en gisements ou dans les grandes villes, notamment Lodz. En Italie, la frontière entre un Nord riche et industrialisé et un Sud rural dont la croissance demeure profondément apathique, devient de plus en plus imperméable. Les Etats-Unis d’Amériques, quant à eux, connaissent une croissance spectaculaire à partir des années 1880. Ils s’adjugent le tiers de la production manufacturée mondiale en 1915, et près de 50% à la veille de la crise économique de 1929. Au sortir de la guerre, ils assoient encore davantage leur hégémonie, devenant, par là-même, le premier exportateur de biens manufacturés ainsi que de capitaux. Leur croissance industrielle demeure alors consubstantielle au recours à la machine-outil ainsi que le travail à la chaîne.
L’évolution de l’économie peut se théoriser et se diviser, du même coup, en une alternance de cycles, lesquels font alors alterner croissance et dépression. La croissance proviendrait soit du progrès industriel, sous-tendu par des innovations, soit de l’accroissement des investissements. La croissance est ainsi hachée par des crises de surproduction, survenant tous les dix ans. Ces cycles courts, qui paraissent réguler le système via la suppression des entreprises les plus vulnérables, s’inscrivent dans des cycles de durée plus longue, phases de croissance et phases de dépression. La Grande Dépression, par exemple, en est un exemple patent. Elle se manifeste d’abord dans les pays germaniques, puis gagne progressivement les Etats-Unis ainsi que la France. Elle affecte largement les agriculteurs européens, alors concurrencés par les productions nord-américaines ainsi qu’australiennes. Corollairement, la consommation des strates de populations les plus modestes diminue. Afin de contrecarrer cette baisse endémique des profits, les entrepreneurs sont contraints d’investir dans la recherche, de se livrer à une véritable restructuration des techniques et refonte de l’organisation de la production. Ainsi, la crise appelle de multiples mouvements de concentration et donne un souffle nouveau à l’innovation technique, laissant alors entrevoir une nouvelle période de croissance, forte, en clair, une nouvelle phase « A ».